37
Une vie pour une vie

Alix eut vaguement l’impression que son corps heurtait le fond, puis plus rien. C’est à ce moment que le pendentif en forme de mistral qu’il portait au cou se mit à briller d’une lueur argentée qui gagna rapidement en intensité. En l’espace de quelques secondes, l’effigie du peuple de l’air s’anima et souffla une minuscule bulle d’air. Celle-ci grossit à une vitesse fulgurante, jusqu’à englober totalement le jeune homme. Mais Alix n’était pas sauvé pour autant. Heureusement, dans son corps présentant tous les signes de la noyade, un phénomène étrange se produisit, en accord avec la transformation qu’il subissait depuis de nombreuses semaines déjà. Alors qu’il avait toujours utilisé la magie pour se guérir, des Ames régénératrices qui sommeillaient en lui depuis sa naissance prirent vie et se mirent à l’œuvre afin de sauver leur porteur. Et c’est sous les yeux soupçonneux puis ébahis du peuple des vouivres que le Cyldias reprit lentement vie alors que la bulle d’air s’évadait vers la surface…

* *

*

Dès que Naïla franchit la barrière de l’espace la conduisant sur Mésa, un typhon se créa autour de son point de chute. Ce signe des dieux, tant attendu par la communauté des sirènes, eut un écho chez tous les peuples de la mer sans exception. Les courants marins portèrent la nouvelle de la traversée d’une Fille de Lune jusque dans les recoins les plus secrets de Mésa et les réactions à cet événement exceptionnel furent aussi vives que contradictoires. Bien que cela suscitait une joie certaine chez les sirènes et les vouivres, il n’en allait pas de même pour les nixes et les sorcières d’eau. Dans chacun des clans, on s’organisa. Pour tous, le but premier consistait bien sûr à mettre la main sur la fameuse Élue. Après, il conviendrait de faire d’autres plans, selon le peuple qui aurait récupéré la précieuse jeune femme. Convergèrent donc en urgence des délégués de chacun des peuples vers l’île de Minorca.

* *

*

Sous l’eau, le corps de Naïla, déjà mal en point, perdait ce qui lui restait de vitalité à la suite de la transformation radicale qu’il avait subie. À peine aurait-on perçu un faible battement de cœur si l’on avait posé les doigts au creux de son cou. Par contre, une agitation fébrile se faisait sentir dans les entrailles de la jeune femme, les jumelles tentant désespérément de naître avant le trépas de leur mère.

* *

*

Les nixes, femelles d’un peuple nautique aux idées pernicieuses et aux comportements perfides, et les vouivres, superbes femmes capables de vivre aussi bien sous l’eau que sur terre ou dans les cieux, arrivèrent en même temps sur les lieux. Chacun ayant une connaissance exceptionnelle de l’autre, les deux peuples se jaugèrent du regard de longues minutes avant que les nixes bougent enfin, incapables d’attendre plus longtemps. Les vouivres, qui savaient que leurs vis-à-vis ne voudraient ni discuter ni agir de manière civilisée, avaient prévu l’attaque et ripostèrent de belle façon. La rixe qui s’ensuivit ne dura pas. Les alliées des sirènes l’emportèrent haut la main sur les nixes dont la stupidité n’avait d’égale que leur manque de savoir-vivre…

Le peuple vaincu quitta finalement les lieux, se jurant de revenir bientôt. Circa, la vouivre qui dirigeait le groupe, poussa un soupir de résignation. Elle détestait ces créatures idiotes qui ne cessaient de leur créer des problèmes sous prétexte qu’elles vivaient dans ce monde avant les vouivres. Et c’était comme ça depuis plus de sept siècles maintenant ! Comme si l’immensité du territoire ne suffisait pas pour établir une distance entre eux. Mais le moment était mal choisi pour penser à ces guerres intestines…

— Glissez-la doucement sur le brancard et portez-la jusqu’au village de Mesrine.

Surprise, l’une des brancardières demanda :

— Ne devrions-nous pas la conduire à notre reine ? Sa Majesté risque de ne pas être très heureuse si nous revenons à elle les mains vides, elle qui s’attend à recevoir la messagère d’Alana. Elle a sûrement déjà envoyé un message à la dirigeante des sirènes pour annoncer notre découverte.

D’un ton dur, Circa répliqua :

— C’est un cadavre que Sa Majesté accueillera si nous nous entêtons à suivre ses instructions. Jamais cette jeune femme ne se rendra jusqu’à la cité impériale dans l’état où elle se trouve.

D’un signe de tête, la brancardière signifia qu’elle comprenait, avant de donner un coup de main à ses sœurs qui manipulaient Naïla avec mille précautions. Observant la scène, Circa murmura pour elle-même :

— N’en déplaise à la reine, je doute que cette jeune femme survive jusqu’à Mesrine.

Les vouivres étaient de très belles femmes qui vivaient sous l’eau avec un corps en tous points identique à celui des humaines si ce n’est de l’escarboucle - un grenat à l’éclat vif – qu’elles portaient en permanence au front. Des écailles protégeaient leur corps et assuraient une plus grande fluidité à leurs mouvements dans l’eau. Elles étaient aussi détentrices d’une particularité fort prisée par les sirènes. C’est d’ailleurs pour cette raison que les deux peuples s’étaient d’abord liés d’amitié ; les vouivres avaient la faculté de se transformer, dès qu’elles quittaient l’élément liquide, en serpents ailés, gardant toutefois la tête et le torse des humaines. Elles étaient donc des messagères incroyablement efficaces pour une communauté qui ne pouvait survivre hors de l’eau. C’est aussi la raison pour laquelle elles vivaient sur Mésa au lieu de Dual. Leur association légendaire avec les sirènes avait joué pour beaucoup dans la décision de Darius.

Les vouivres eurent beau nager de toutes leurs forces, elles ne purent atteindre le village sous-marin de Mesrine à temps. À quelques lieues de leur destination, le corps moribond de la Fille de Lune fut pris de convulsions alors que les bébés à naître continuaient de se démener pour voir le jour. L’immense apport magique qu’ils avaient reçu sur Brume avait décuplé leur croissance et ils ne pouvaient plus rester enfermés. Ils se servaient de l’énergie vitale de Naïla pour accroître la leur dans l’espoir de se libérer de leur confinement. Les Âmes régénératrices de la jeune femme résistaient avec une volonté farouche, mais il était clair qu’elles ne pourraient pas lui éviter la mort à court terme si elles ne recevaient pas bientôt une aide appropriée.

Circa prit l’initiative de se réfugier dans une grotte qui débouchait sur une salle où l’air était rare, mais tout de même présent. Elle ignorait si l’enfant prendrait lui aussi la forme aquatique à sa naissance et ne pouvait risquer de le voir mourir noyé. En catastrophe, elle installa l’Élue sur une avancée rocheuse affleurant l’eau, sur un lit de plantes aquatiques. Sans attendre, elle fit signe à Bianka, sa vis-à-vis, de l’imiter. Toutes deux poussèrent alors sur le ventre de Naïla avec une puissance hors du commun. Sous la pression des deux vouivres, l’un des plis du nombril s’ouvrit légèrement. Satisfaite de cette réponse du corps pourtant agonisant, Circa continua de pousser sur le ventre rebondi, en alternant avec de courts massages. L’agitation sous la peau tendue ne laissait aucun doute quant à la vivacité de l’enfant à naître. Pendant ce temps, deux des vouivres présentes massaient les bras et la longue queue écaillée de la jeune femme. Une autre lui massait doucement les tempes en mouvements circulaires. Elles espéraient ainsi activer la circulation du sang et faciliter l’accouchement à venir.

Le travail des vouivres porta ses fruits et le nombril de Naïla laissa paraître une fente de plus en plus large. Elles se mirent bientôt à quatre pour forcer le passage en augmentant la pression et furent récompensées par la vision du sommet d’une tête dans l’ouverture ainsi créée. Circa était tout de même inquiète du manque total de réaction de la Fille de Lune ; pas le moindre gémissement, pas le moindre mouvement dans le reste de son corps, juste une passivité à faire frémir. Craignant le pire, la vouivre approcha son visage de celui de Naïla, espérant percevoir un souffle de vie. Elle chercha le pouls de la jeune femme, mais ne fut même pas certaine que ce qu’elle distinguait prouvait que la vie tenait bon. Une exclamation de surprise la fit se retourner. Bianka tenait à bout de bras un nourrisson gesticulant et hurlant et regardait, avec de grands yeux surpris, le sommet d’un second crâne. « Pourvu que ce deuxième enfant ne l’achève pas », pensa Circa. Comme une réponse contraire à sa prière, Naïla rendit son dernier souffle quelques minutes plus tard alors que le deuxième enfant voyait le jour. Circa lâcha un juron digne des pires charretiers et se précipita pour masser énergiquement la poitrine de la jeune femme, technique léguée par de nombreuses générations de sirènes guérisseuses à leurs amies les vouivres.

* *

*

L’âme à la dérive, je flottais dans une étrange lumière. J’avais l’impression de ne plus rien ressentir alors que mon corps me faisait souffrir le martyre à peine quelques secondes auparavant. J’avais vaguement eu conscience que mon ventre se délestait d’un poids, mais je ne parvenais pas à comprendre comment j’avais pu accoucher puisque j’étais dans l’incapacité de fournir le moindre effort. Je n’osais soulever les paupières, inquiète de ce que je pourrais découvrir. J’avais entendu des voix de femmes dans ma semi-conscience, jamais celle d’Alix. M’avait-il suivie dans cette traversée vers un autre monde ? Avait-il perdu la vie parce qu’il avait présumé de ses capacités à voyager ? Avait-il…

Ma réflexion fut interrompue par une voix que je connaissais même si je ne pouvais l’identifier.

— Tu vas maintenant devoir faire un choix déchirant, Fille de la nuit, Fille de Lune…

J’ouvris les yeux sur un épais brouillard. Point de sol sous mes pieds, rien que le vide. Devant moi, une silhouette lumineuse se déplaçait lentement sans le moindre point d’appui. Je reconnus Alana, déesse des Gardiennes des Passages et protectrice des Filles de Lune.

— Où suis-je ?

— À la frontière de la vie, Naïla, à la limite de ta propre vie…

D’un mouvement de la main, Alana balaya le brouillard à nos pieds et la scène qui m’apparut me laissa sans voix. Je me mordis la lèvre inférieure, espérant me tromper sur ce que je voyais.

— Suis-je…

La suite de ma terrible question resta coincée dans ma gorge, refusant de franchir mes lèvres. Alana dodelina de la tête à mon interrogation muette.

Bouche bée, je regardais avec une fascination morbide mon corps qui gisait en contrebas. Une femme à l’apparence surprenante était penchée sur ma dépouille et massait énergiquement mon torse alors que d’autres gesticulaient allègrement ou se tenaient la tête à deux mains. En retrait, deux de ces êtres étranges portaient dans leurs bras mes jumelles emmaillotées d’algues turquoise. Cette dernière vision me fit fermer les yeux un instant. Ce n’est qu’en ramenant mon attention sur moi-même que je réalisai que je n’avais plus de jambes, mais une longue queue couverte d’écailles. J’eus un hoquet de stupeur et me tournai vivement vers Alana.

— Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

— Cette transformation t’a sauvé la vie à ton arrivée sur Mésa puisque la traversée se termine sous l’eau. Tu retrouveras ta forme initiale si un jour tu touches terre. Mais ce n’est pas ce qui est le plus problématique pour l’instant. Ton cœur a cessé de battre, fille de Brume, poursuivit Alana d’une voix douce. Comprends-tu ce que cela signifie ?

La déesse me regardait drôlement, craignant vraisemblablement que je n’aie pas saisi. Or, j’avais très bien compris, mais je ne parvenais pas à l’assimiler, à rendre cette situation réelle à mes yeux. J’étais plutôt habitée par un intense sentiment d’illogisme. Contre toute attente, je ne pus réfréner une irrépressible envie de rire qui frôlait la crise d’hystérie. Alana eut un froncement de sourcils et ouvrit la bouche pour parler, mais je ne lui en laissai pas le loisir.

— Depuis le temps que tous s’ingénient à me détruire et que plusieurs rêvent de me voir disparaître, je ne peux pas croire que la vie leur fasse pareil cadeau.

À ce moment, mon rire se transforma en ricanement amer.

— Dire que j’ai vécu tant d’aventures depuis mon premier départ de Brume, que je me suis fait violer par un imbécile, agresser par des sorcières tout droit sorties d’un cauchemar, que j’ai rencontré des créatures de légende et traversé un hiver chez les colons de la Nouvelle-France, enceinte d’enfants que je savais ne jamais pouvoir aimer, et qu’est-ce que je récolte ? Hein, qu’est-ce que je récolte ? La tristesse de mourir seule, loin de tous, pendant que mes bâtards ont la vie sauve et que la voie est maintenant libre pour tous les mécréants de l’univers de Darius. Eh bien, battez-vous sans moi !!!

J’éclatai en sanglots incontrôlables, même si aucune larme ne vint inonder les joues de mon corps devenu translucide.

— C’est Alix qui ne croira pas sa chance d’être enfin débarrassé de moi…

Au moment même où je formulais cette phrase, une réplique de Madox s’imposa avec violence à mon esprit : « Un Cyldias désigné meure en même temps que sa protégée. »

Cette pensée ajouta à ma détresse. Je m’apprêtais à questionner Alana sur le degré de vérité de cette affirmation quand je croisai son regard infiniment triste et son signe de dénégation.

— Un Cyldias désigné meure en même temps que sa protégée seulement s’il l’aime d’amour, Naïla…, murmura-t-elle d’une voix immensément douce.

Alix allait-il mourir avec moi ? Se pouvait-il qu’il m’ait aimée ? Ne me sentant pas le courage de poser ces questions à Alana, je ne le saurais probablement jamais et cette réflexion acheva de me déchirer. Je fixais la scène en contrebas et des millions de pensées tourbillonnaient dans ma tête. J’étais morte… Après avoir supporté tout ça, j’étais tout simplement morte ! Quelle ironie… Quel affront…

— … devoir choisir si tu y retournes ou non…

À ces mots, je me redressai, étonnée.

— Qu’est-ce que vous avez dit ?

D’une voix pleine de bonté, Alana répéta :

— J’ai dit qu’il te fallait maintenant décider si tu voulais retourner à cette vie que tu t’apprêtes à quitter, avec tout ce qu’elle implique, ou si tu préfères accéder à une autre dimension…

— Vous voulez dire que je ne suis pas encore morte ? m’enquis-je d’une voix blanche.

— Peu de choses sont irréversibles pour une déesse. Tu dois par contre savoir que, advenant ta décision d’y retourner, il y aura un prix à payer…

J’avais l’impression de ne faire que ça, payer, depuis que j’avais fait connaissance avec le monde de Darius. Je ne voyais pas en quoi cette mise en garde pouvait influencer mon choix… Je me demandais plutôt jusqu’à quel point j’avais envie de continuer cette vie surréaliste. Tandis que je réfléchissais intensément, Alana me pressa :

— Il te reste peu de temps, Fille de Lune maudite. D’ici quelques minutes, il sera trop tard…

— Mais vous venez tout juste de me dire qu’il y a peu de choses irréversibles pour une déesse ! répliquai-je avec impatience. Et voilà que je dois me hâter…

— Bien que j’aie de grands pouvoirs, j’en ai très peu sur le destin des Êtres d’Exception. Ce n’est pas tant pour toi-même que tu dois te presser, Naïla, mais pour Alix. S’il meurt, ce qui ne saurait tarder puisqu’il ne vit plus que parce que j’ai suspendu le cours du temps pour toi comme pour lui, je n’aurai pas le pouvoir de le ramener à la vie…

— Comme si je n’avais pas assez du poids de ma propre vie…, soufflai-je, avant de donner mon accord pour retourner en enfer.

 

* *

*

 

— Accroche-toi, Alix ! Je t’en conjure, accroche-toi… Tu ne peux pas partir. Pas maintenant…

Dans la tête d’Alix, les supplications de Solianne tournaient en boucle alors que les Âmes régénératrices de l’Être d’Exception travaillaient d’arrache-pied pour maintenir un soupçon de vie dans son corps meurtri. Le jeune homme reposait sur les berges d’une île de Mésa, luttant contre l’eau accumulée dans ses poumons, les blessures subies pendant la traversée, les conséquences de la faiblesse extrême de Naïla et les effets de la mutation en cours. Dans un état à la frontière de la mort, Alix souffrait le martyre, trop épuisé pour crier sa douleur. Incapable de créer une cellule temporelle pour se soustraire aux regards et à son environnement, il cuisait sous un soleil de plomb, la peau brûlée par le sel de mer. Naïla prit sa décision in extremis… Enfin libérées de cette menace de mort imminente, les Ames régénératrices purent effectuer leur travail efficacement.

Un peu plus tard, lorsqu’il ouvrit les yeux, Alix ne tarda pas à les refermer. Non seulement il ne se souvenait pas de l’endroit où il était censé se trouver, mais il se sentait horriblement mal. Dans un haut-le-cœur, il roula sur le côté, vomissant un mélange d’eau de mer et de bile. Il s’obligea ensuite à respirer lentement, tentant de se remémorer les derniers événements, mais la douleur qui habitait son corps tout entier l’empêchait de réfléchir. Le jeune homme se traîna à l’ombre d’un arbre et se laissa sombrer dans la torpeur qui l’engourdissait.

Alix émergea trop tôt de son sommeil chaotique. Bien qu’il se sente légèrement mieux que quelques heures auparavant, ce bref-repos était insuffisant. Il fit une tentative pour créer une cellule temporelle. Quatre essais furent nécessaires pour que sa magie fonctionne enfin. Soulagé, il put récupérer convenablement.

 

* *

*

 

Contrairement à ce qu’avait pensé Madox, il n’avait pas eu besoin d’aide pour retrouver sa sœur. L’adolescente n’avait jamais quitté le pied de la montagne où on l’avait laissée pour morte. À son arrivée, elle gisait, toujours inconsciente, à l’orée de la forêt qui bordait les hauts sommets qu’habitaient les gnomes. Quand le jeune homme l’avait prise dans ses bras, il avait pu constater son extrême maigreur. Bien qu’elle n’ait vécu que quelques semaines dans les souterrains des élémentaux de la terre, elle donnait l’impression d’y avoir été pendant de longs mois. Son visage émacié, ses vêtements déchirés, sa peau noire de saleté et ses traits tirés avaient offert à Madox une vision de cauchemar. Son fardeau appuyé sur sa poitrine, le Déus avait disparu pour reparaître à l’intérieur de la cabane qui lui avait permis de guérir loin des regards. Il avait alors tout mis en œuvre pour soigner sa sœur. Tout s’était passé pour le mieux pendant les premiers jours. Laédia avait récupéré rapidement et avait bientôt été en mesure de raconter sa capture par des sbires à la solde des gnomes et son séjour dans les souterrains. Trop heureux de la voir si vite sur pied, Madox discuta même avec Morgana de la possibilité que la vieille femme héberge Laédia, le temps qu’il puisse lui assurer une véritable protection.

La situation se gâta quelques jours plus tard, alors que le Déus avait dû quitter la cabane le temps de se procurer des vivres et de l’eau fraîche. Pas plus d’une heure… Quand il revint, il comprit immédiatement que quelque chose clochait. La pièce était étrangement silencieuse à son entrée. Alarmé, il se dirigea vers le lit où dormait Laédia à son départ, fortement aidée par une boisson dont la recette venait de Zevin. Il se pencha sur le corps de sa sœur avec appréhension et vit ses pires craintes se concrétiser ; Laédia ne respirait plus. Il se mit à hurler, la secoua violemment, lui cria qu’elle ne pouvait pas lui faire ça, qu’elle ne pouvait pas partir ainsi sans prévenir, que ça n’avait pas de sens. Puis vint le déni, ce refus de croire l’incroyable, de même que la colère et l’incompréhension – elle allait si bien à peine une heure plus tôt ! Lorsque le jeune homme se fut écorché les mains jusqu’au sang en frappant de ses poings les murs de la cabane de bois rond, lorsqu’il eut épuisé ce que son corps pouvait contenir de larmes, lorsqu’il eut injurié tous les dieux de cette terre ingrate et qu’il se fut maudit lui-même, convaincu d’avoir mal concocté la potion de Zevin, il s’effondra sur le sol, le corps secoué de spasmes douloureux…

 

* *

*

 

Une jeune vie s’était éteinte, permettant à Naïla de renaître. Tel était, pour la Fille de Lune, le tribut à payer. Même si elle ne connaissait la victime que de nom et ne savait même pas que celle-ci mourait aujourd’hui pour elle, le jour viendrait où l’héritière maudite aurait à rendre des comptes sur ce départ prématuré…

 

* *

*

 

Cette nuit-là, Andréa rêva de Laédia, ignorant que Naïla était la cause de ce décès soudain. L’Insoumise Lunaire ressentit la mort de sa fille comme un coup de poignard en plein cœur, mais elle n’eut pas la même réaction que Madox. Ce dernier coup du sort fut l’élément déclencheur d’un renouveau inattendu. Elle comprit enfin qu’elle ne pouvait indéfiniment se fier sur les autres pour lui redonner sa splendeur d’antan ni continuer de communiquer avec Naïla par le biais d’une gamine de douze ans. Il lui appartenait à elle, et à elle seule, de reprendre les rênes de sa vie. Tôt ou tard, Naïla reviendrait de son périple en territoire inconnu et elle aurait besoin d’un guide, mais surtout de cette mère perpétuellement absente. Personne ne parvenant à lever le sortilège d’Oglore, elle allait devoir mettre son orgueil de côté et communiquer avec Kaïn. Pour ce faire, il lui fallait transgresser une loi de la Terre des Anciens…

Surprises, les Insoumises virent Andréa quitter sa paillasse pour la première fois depuis son arrivée. Elle demanda à ce qu’on la laisse se déplacer seule dans le village souterrain et disparut bientôt dans l’un des nombreux dédales de couloirs qui composaient la cité. Elle mit plus de temps que la normale à rejoindre la cachette de Myrkie, mais elle eut la satisfaction d’y trouver la gamine ravie.

— Ne vous inquiétez pas. Personne ne nous trouvera ici ! l’accueillit cette dernière, sourire complice aux lèvres.

— Je sais, répondit Andréa, sourire indulgent aux lèvres, mais je suis certaine que tu ignores pourquoi il en est ainsi…

L’adolescente répondit, pleine de naïveté :

— Je pensais que c’était simplement parce que je voulais qu’il en soit ainsi… Après tout, je suis un peu magicienne moi aussi.

Andréa éclata de rire devant tant de candeur. Sa propre jeunesse lui semblait si loin.

— Ce n’est pas parce que tu le désires, mais bien parce que tu es dans un vide temporel. Tu deviens alors invisible aux yeux de la plupart des Insoumises. Il ne…

Myrkie l’interrompit :

— Comment m’avez-vous rejointe, dans ce cas ?

Les yeux d’Andréa pétillaient de malice quand elle expliqua :

— Je connaissais cet endroit bien avant toi, jeune fille. Mais il n’en est pas de même pour le reste de ton peuple et je crois qu’il serait préférable que tu continues à garder le secret.

À ces mots, le visage d’Andréa était redevenu sérieux. Myrkie hocha hâtivement la tête pour signifier qu’elle avait bien compris. Elle ne voulait surtout pas décevoir son amie.

— Les Insoumises ne viennent jamais dans cette partie des souterrains parce qu’elle conduit dans un cul-de-sac, très loin des zones habitées. Et maintenant, j’ai un service à te demander, continua Andréa en changeant de sujet. Tu veux bien faire le guet juste au cas où ? Je vais disparaître pendant quelque temps, mais ne t’inquiète surtout pas. Je peux te faire confiance ?

Inconsciemment, Myrkie redressa les épaules et se tint bien droite. La fierté brillait dans ses prunelles quand elle répondit par l’affirmative. Quelques instants plus tard, Andréa s’évapora sous ses yeux.

 

* *

*

 

Devenue invisible, Andréa emprunta le couloir dissimulé qui prolongeait la cavité dans laquelle Myrkie se réfugiait depuis des années. Bien qu’elle puisse entrer dans le vide temporel, la fillette ne pouvait rien y voir de particulier ; sa magie primitive ne le lui permettait pas. Pour l’Insoumise Lunaire, la situation était différente. Elle repéra immédiatement le passage conduisant plus profondément dans les grottes. Tout en descendant les marches grossièrement taillées, elle maudit intérieurement la sorcière des gnomes pour la millionième fois au moins. Cette mégère l’obligeait à faire appel à Kaïn et c’était la dernière chose dont Andréa avait envie. Maudit soit ce sortilège de Raient ! Il ne pouvait être rompu comme les autres sortilèges des gnomes, c’est-à-dire en perdant tout contact avec l’élément que ces êtres ignobles protégeaient. C’était une très mauvaise nouvelle, car elle impliquait qu’Oglore avait trouvé le moyen de parfaire son art et de l’amener à un niveau jusqu’à ce jour réservé aux espèces beaucoup plus douées.

Andréa revint rapidement de sa courte excursion. Myrkie se garda bien de poser la moindre question et laissa la Fille de Lune retourner vers la cité souterraine. Si elle savait se montrer patiente, elle finirait bien par apprendre ce que cachait réellement cet endroit. Pour sa part, Andréa avait chaleureusement remercié la jeune fille pour son aide, consciente que cette reconnaissance lui assurait sa discrétion. Il lui fallait maintenant se procurer le nécessaire pour concocter la potion particulière qui requérait l’ingrédient crucial reposant désormais dans la poche de sa jupe.

 

Le talisman de Maxandre
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